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22 juin 2012 5 22 /06 /juin /2012 16:20

 

 

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J’ai toujours bien aimé les enfants et, en les recevant dans le cabinet de consultation, je cherche toujours à les mettre à l’aise en blaguant avec eux. Je fais semblant, par exemple, de leur écouter le nez ou le sommet du crâne avec mon stéthoscope ou bien je leur dis : « Dis-donc, toi, je vais te donner des médicaments : qu’est-ce que tu préfères, les sirops ou les piqures ? » Ils comprennent assez vite que je plaisante et cela les rassure. Du même coup, assez souvent, je m’attire aussi la sympathie des parents ce qui, on ne le dira jamais assez, est fondamental pour la bonne tenue de ce type de consultations. J’aime bien les enfants mais je ne leur fais pas confiance. Une parole malheureuse, un geste mal compris et voilà la porte ouverte à tous les ennuis. C’est la raison pour laquelle je ne reste jamais seul avec eux. Si pour une raison ou pour une autre, leurs parents doivent les abandonner quelques minutes, je préfère alors les confier à un autre malade de la salle d’attente. On ne sait jamais.

Cet après-midi là, je terminais la consultation par un père et ses deux enfants. L’homme, un Noir d’une trentaine d’années en costume bleu-nuit, chemise blanche et cravate rouge, consultait pour la première fois au cabinet. Ses deux enfants – un garçon d’une dizaine d’années et sa sœur légérement plus jeune - étaient certainement un peu turbulents mais sans excès. L’homme était en fait venu pour son propre compte car il se plaignait d’une toux persistante depuis quelques jours mais sans fièvre, ni autre signe particulièrement évocateur. La consultation terminée, il me tendit sa carte bleue pour payer mes honoraires. Tout aurait pu en rester là mais…

J’eus beau essayer de trente-six façons, la carte bancaire refusait obstinément d’être authentifiée par le lecteur (Je sus par la suite que le dysfonctionnement provenait bel et bien du lecteur et non de la carte). Je me tournai vers l’homme qui observait mes efforts inutiles.

Monsieur, je suis vraiment désolé mais ça ne passe pas. Peut-être un chèque ?

Hélas, je n’ai pris que ma carte…. Mais il y a sans doute un moyen : savez-vous s’il existe un distributeur bancaire à proximité ?

Devant ma réponse positive, il me reprit sa carte et m’expliqua :

Eh bien, si vous êtes d’accord, je vous laisse les enfants et je vais chercher de la monnaie. Je n’en ai pas pour plus de cinq minutes…

Comme je l’ai déjà indiqué, j’ai horreur de rester seul avec des enfants mais c’était la fin de l’après-midi, une salle d’attente vide, un patient que je ne connaissais pas… et deux bambins, donc moins de risques qu’avec un seul. Et puis, me dis-je, il ne faut pas non plus sombrer dans la paranoïa : que peut-il bien se passer en quelques minutes ? Je proposai donc au père de laisser ses enfants dans la salle d’attente, les surveillant de loin par les portes ouvertes, tandis que je sécurisais et fermais le système informatique.

Deux minutes s’écoulèrent. Je classais les derniers documents de la consultation lorsque je vis apparaître la petite fille. Elle se campa devant moi, les mains derrière le dos en se balançant d’une jambe sur l’autre, puis déclara tout de go :

Dis, Monsieur, pourquoi t’as un zizi tout blanc ?

Dans un premier temps, je crus avoir mal entendu et, éberlué, je me penchai vers elle pour lui faire répéter :

Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ?

Pourquoi t’as un zizi tout blanc ?

Je restai interdit, incapable de comprendre ce qu’il se passait. Le Ciel me serait tombé sur la tête que je n’aurais pas été plus surpris. Je n’eus pas le temps de me ressaisir que le frère, entrant à son tour dans le cabinet, se mit à chanter :

Il a un zizi tout blanc ! Il a un zizi tout blanc !

J’avais l’impression de vivre une sorte de cauchemar, la réalisation de mes pires craintes. J’étais debout, immobile, à regarder les deux garnements lorsque, s’apercevant probablement que je ne comprenais rien à ce qu’elle racontait, la petite fille me prit par la main.

Viens avec moi. Tu vas voir…

Encadré par les enfants, je sors du cabinet de consultation qui donne sur l’entrée mais, au lieu de nous diriger vers la salle d’attente de l’autre côté, les voilà qui ouvrent une porte latérale fermant un débarras, sorte de local annexe où le médecin titulaire entrepose échantillons de médicaments, vieux dossiers et autres documents médicaux.

Tu le vois ?

Evidemment que je le voyais : sur une étagère basse trônait la reproduction grandeur nature et en plastique des organes génitaux externes masculins. En réalité, si d’un côté la réplique était plus vraie que nature, de l’autre une coupe s’efforçait de caractériser les différences anatomiques possibles du cancer et de l’adénome prostatiques. Inutile de dire que je n’avais jamais remarqué cet exceptionnel outil d’instruction scientifique. Je l’enlevai de la main de la petite fille qui, bien entendu, s’en était de nouveau emparé et, prenant ma voix la plus sentencieuse, je m’efforçais d’expliquer :

Ah ça ? Vous voulez savoir alors je vous explique : nous autres, les docteurs, on doit apprendre à soigner toutes les maladies. Même celles de cet endroit-là. Alors, pour ne pas oublier, on a ces objets-là où c’est marqué les différentes maladies… Vous voyez, c’est comme dans un livre mais en plus vrai.

Que pouvaient bien comprendre à mes explications les deux enfants ? Ce qu’ils savaient, c’est qu’ils avaient vu « un zizi tout blanc ». J’imaginais déjà la façon dont ils risquaient d’en parler avec leur père. Comment expliquer à ce dernier que… Lui montrer l’objet du remue-ménage ? Pour qu’il me demande pourquoi j’étalais ça devant ses enfants ? Demander aux enfants de ne rien raconter ? C’était au contraire la certitude de passer pour un pédophile voulant cacher ses méfaits. Expliquer simplement au père ? Mais comprendrait-il ? Alors ne rien dire ? C’était s’exposer à ce que les enfants se vantent par la suite et… En somme, j’étais particulièrement ennuyé. La sonnerie de la porte signifiant le retour du père me surprit tandis que je n’avais pas encore pris de décision.

Arborant un large sourire, l’homme me tendit les billets qu’il venait de retirer du distributeur tandis que ses enfants l’encadraient en criant. Ma décision fut prise en une seconde : je ne dirai rien car il n’y avait rien d’important à rapporter. Il s’agissait finalement d’un non-événement : j’espérais tout bonnement que les enfants avaient déjà oublié leur aventure. Durant les semaines qui suivirent, je m’attendis souvent à revoir l’homme, seul cette fois, me prenant à partie en s’exclamant : « Dis-donc, vous… ». Heureusement, rien de tel ne se produisit. Les enfants ont-ils oublié ? En ont-ils parlé ? Les parents ont-ils pensé à une histoire inventée de toutes pièces ou sont-ils très en colère après un médecin bizarre ? Je ne le saurai jamais mais, à présent, je vérifie toujours que les portes qui doivent être fermées le sont réellement. Et, plus encore que par le passé, j’évite de rester seul avec des enfants que je ne connais pas.

 

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9 juin 2012 6 09 /06 /juin /2012 18:48

 

 

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Des morts, j’en ai vu beaucoup lorsque je travaillais comme externe de garde à l’hôpital B., dans le service de réanimation cardiorespiratoire du Pr. L. mais il en est un qui me poursuit encore, probablement du fait que j’ai joué un rôle actif, à défaut de responsabilité, dans sa fin. Le service se composait de deux étages, le supérieur étant dévolu à la réanimation respiratoire. Dans cette unité, il existait à l’époque six lits qui étaient en permanence « squattés » par de pauvres malheureux trachéotomisés et placés sous ventilation assistée au moyen d’énormes appareils, les MMS, qui assuraient la respiration du malade à grands renforts de tuyaux et de ronflements divers. On finissait par s’habituer à cette ambiance sonore pesante jusqu'à en avoir l’impression de ne plus être dans un milieu naturel, une fois le calme extérieur retrouvé. Périodiquement, nous passions au chevet de ces malades pour une sempiternelle prise de tension artérielle et, de temps à autre, pour une aspiration, c’est à dire que l’on devait descendre dans la trachée du patient, par l’orifice de trachéotomie, un long tube flexible et stérile destinée à aspirer les sécrétions que l’on recueillait dans un bocal au lit du malade. Le bruit de l’aspiration était particulièrement ignoble et la douleur entraînée certaine. Le problème n’était pas tant la survie des malades qui, dans ce contexte, se comptait en mois, que le manque cruel de place qui nous faisait récuser d’authentiques candidats. Parfois, il arrivait que les malades « chroniques », dont on savait qu’ils ne récupéreraient jamais leur fonction respiratoire, prennent la place de plus jeunes, des accidentés de la route par exemple, dont certains mouraient faute d’une prise en charge rapide, alors que leurs soins n’auraient nécessité que quelques jours de ventilation. Scandaleux ? Oui, mais qui pouvait avoir le cœur de « débrancher » les « chroniques », ce qui leur assurait une mort certaine ?

Ce jour-là, pourtant, décision avait été prise de « faire de la place ». Dans le courant de la nuit, en effet, une jeune femme, victime d’un accident d’automobile sur le boulevard périphérique assez proche, n’avait pu être admise, faute de place. Son état était jugé sérieux puisqu’elle souffrait d’un écrasement du thorax que, dans notre jargon, nous appelons un volet thoracique. Il ne fut pas possible de l’admettre faute de place et elle mourut durant son transport en ambulance vers un hôpital plus central, entraînant à juste titre la consternation de l’ensemble du personnel soignant. Le chef de service décida alors qu’il y aurait désormais un lit (et son matériel) laissé libre pour des urgences de ce type. Mais comment faire de la place ?

Dans la troisième chambre du service était ventilé un homme d’une soixantaine d’années qui se mourait d’un cancer de l’œsophage. On me chargea en conséquence de débrancher le pauvre bougre. Et je me souviens, je me souviens très bien de mon sentiment d’alors : la honte - car il n’était pas question d’avertir le malade ce qui aurait été particulièrement cruel - et le sentiment de ma propre importance puisque j’étais chargé, sans aucun doute possible, d’administrer la mort. J’entrai dans la chambre. Bruits d’éructation monotone du MMS. Je m’approche du malade et je lui dis, sans trop le regarder : Monsieur X, on va essayer de vous réhabituer à la respiration naturelle. On fait un essai de quelques minutes et si cela ne va pas je reviens vous rebrancher. Je me sauve presque, non sans distinguer accroché à moi le regard étonnamment bleu du patient qui me poursuit. Je ne suis revenu que plus d’une demi-heure plus tard. Le malade, bien sûr, était mort. Ma mission pour laquelle je n’étais que le bras irresponsable était accomplie. Je n’avais été que l’exécutant, le messager, et pourtant, plus de quarante ans plus tard, les yeux si bleus suivent encore ma fuite. Comme si cela datait de la veille, je revois le regard clair qui savait. Alors, je hausse les épaules et je pense à autre chose.

 

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27 mai 2012 7 27 /05 /mai /2012 14:36

 

 

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Quand il reçoit un nouveau patient, quelqu’un qu’il n’a encore jamais vu, le médecin cherche toujours à décrypter ce que cache cette consultation. Le plus souvent, et c’est heureux, les problèmes sont relativement perceptibles et d’ailleurs bien expliqués par le malade. Il arrive toutefois que le motif apparent du contact cache en réalité un trouble plus profond que le patient, suivant qu’il se sente ou non en confiance, exposera. Il faut parfois plusieurs consultations pour que le sujet s’y résolve tandis qu’ailleurs, si on n’y prend garde d’emblée, l’occasion, et ce d’autant qu’elle correspond à une crise aiguë, ne se représentera pas.

Après avoir fait entrer la jeune femme dans le cabinet, j’eus assez rapidement l’impression qu’elle cherchait à me confier quelque chose qui lui tenait à cœur, quelque chose qui lui pesait, et qu’elle avait du mal à trouver ses mots. Il ne pouvait s’agir de timidité devant un remplaçant inconnu puisque elle m’avait d’emblée prévenu qu’il s’agissait pour elle d’une première visite, son médecin traitant habituel étant en vacances. Brune, mince, élégante, elle pouvait avoir une trentaine d’années et présentait un visage triste dont les grands yeux bleus que l’on devinait vifs en d’autres occasions n’arrivaient pas à se fixer. Cette étrange apparence de repli, presque d’hostilité vis-à-vis du monde qui l’entourait, n’arrivait pas à l’enlaidir.

Pour me donner une contenance et lui laisser éventuellement le temps d’en venir à ce qui la préoccupait, je sortis un formulaire neuf du tiroir du bureau et commençai à lui poser quelques questions parfaitement anodines sur son état-civil et ses antécédents médicaux. Elle répondait d’une voix grave, nullement hésitante, mais indifférente, comme si tout cela n’était qu’une entrée en matière obligée et qu’il fallait bien en passer par là. Nous en arrivâmes aux troubles qui motivaient sa venue : fatigue extrême, surmenage, stress, insomnie, besoin de se rassurer par un examen médical, un bilan biologique peut-être. En somme rien que de très courant.

Mais tandis qu’elle m’exposait les symptômes de son malaise, je voyais bien que son regard fuyait et explorait sans les voir les murs, les tableaux qui y étaient accrochés, le mobilier. Elle paraissait déshabitée. Je laissai s’installer quelques secondes de silence puis, de la voix la plus détachée possible, je lui demandai :

- « Bon, et maintenant, si vous me disiez tout, hein, qu’en pensez-vous ? Je suis là pour vous aider, vous savez… ».

Pour la première fois depuis de longues minutes, son regard revint vers moi. Elle m’observa attentivement avant de se mettre à pleurer. De longues larmes silencieuses qui coulaient sur son visage sans qu’elle esquisse le moindre geste pour les essuyer. Je fis rapidement le tour du bureau et vint m’asseoir à côté d’elle, pour être plus proche, pour lui prouver que j’étais concerné. Elle sortit un mouchoir de son sac à main et, l’air douloureux, se confia.

- « Vous savez, Docteur, je fais un métier difficile. Je travaille dans une société de marketing ; j’en suis un des cadres responsables mais ce n’est pas cela, bien sûr…  Je traverse une passe difficile en ce moment parce que mon mari est au chômage depuis plusieurs mois et que nous avons deux petites filles à élever. Et aussi tout un tas de crédits à rembourser. Alors, ma place, c’est important pour nous et je n’ai pas le droit de la perdre, vous comprenez… ».

- « Et, bien entendu, dans votre société, on parle de compression de personnel et vous vous demandez si… ».

- « Non, non, de ce côté là, ça va mais… Il y a un mois, j’ai changé de supérieur hiérarchique. Au début, ça allait mais la semaine dernière il m’a convoquée dans son bureau et… J’avais bien vu qu’il me dévisageait un peu trop… Je faisais semblant de ne pas comprendre mais… Bref, il m’a dit : je n’irai pas par quatre chemins. Vous me plaisez beaucoup alors je vous propose un marché : si vous êtes très très gentille avec moi, tout ira bien ; sinon, eh bien, la société se passera de vos services. Réfléchissez-y attentivement. Il y va de votre intérêt. Que voulez-vous que je fasse, Docteur ? Avec mon mari au chômage. Et tout. ».

- « Mais c’est abominable ! » m’écriais-je. J’étais atterré que de telles situations puissent encore se produire, en France, en 2008, mais, bien sûr, j’avais tort. De tout temps et dans tous les pays, de telles abjections existent et existeront probablement toujours. Bien au contraire, les difficultés économiques du temps présent encouragent ces manœuvres scandaleuses. Je ne savais pas quoi dire à la jeune femme. Son problème était à l’évidence en dehors de tout secours d’ordre médical. Je repris :

- « Mais il n’y a pas moyen de le coincer, ce salaud ? Je ne sais pas moi : peut-être y a-t-il d’autres femmes dans le même cas dans votre société ? A moins qu’une entrevue avec votre PDG… ».

- « Vous n’y pensez pas, Docteur, on ne me croirait pas. Et, puis dans ma société, on n’aime pas ce genre d’incidents. Dans tous les cas, je perdrais ma place. Et c’est absolument ce que je veux éviter. Non, je réfléchis, je réfléchis et je ne vois pas de solution… ».

- « Et votre mari, vous lui en avez parlé ? ».

- « Oh lui, il a déjà tellement de problèmes. Et puis, il irait faire un scandale ce que je ne veux pas, vous comprenez. Non, il faut que je me débrouille toute seule. Simplement, c’est dur. ».

- « Que puis-je faire pour vous aider ? ».

- « Peut-être un calmant pour dormir mais c’est à peu près tout ».

Elle déclina gentiment l’arrêt de travail que je lui proposais compte-tenu des circonstances, sortit son carnet de chèques et me regarda tranquillement, apaisée soudain.

- « Et vous m’avez déjà aidée, Docteur. Il fallait absolument que j’en parle à quelqu’un. C’est là où vous m’avez aidée. A y voir plus clair. A trouver une solution. ».

- « Qui est ? ».

Elle haussa les épaules, résignée.

- « Je suis bien obligée de céder. Que faire d’autre ? »

Je hochai la tête, consterné, mais ce n’était certainement pas à moi de lui reprocher quoi que ce soit. En la raccompagnant, j’essayai bien de lui faire part de ma sollicitude mais en quoi cela pouvait-il lui être utile ?

Je repense quelquefois à cette jeune femme et à son dilemme. Arrivera-t-elle à l’oublier – ou du moins à s’en distancier – ou bien en restera-t-elle abîmée pour toujours ? 

 

 

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12 mai 2012 6 12 /05 /mai /2012 17:44

 

 

 banlieue

 

 

 

 

   Durant toutes ces années, je crois avoir rencontré bien des sortes de gens, des plus tranquilles aux plus stressés, des plus banals aux plus étranges.

   De l’affection somatique grave qui dégrade irrémédiablement jusqu’à la maladie mentale qui détruit la personnalité, il m’a été donné de voir nombre de souffrances, nombre de tourments. Il est vrai que la maladie, singulièrement quand elle est d’importance, transforme les êtres : le médecin découvre souvent une personne – son patient - différente de ce qu’elle est habituellement et l’image qu’il retire d’elle n’est pas toujours en rapport avec celle qu’en ont ses proches, ses amis ou des voisins. Parfois, néanmoins, au détour d’une consultation ordinaire, on se trouve en présence de situations qui étonnent, qui « interpellent » comme on dit de nos jours.

  Ce mardi matin du mois d’août, comme à l’ordinaire, j’effectuais les visites classiques de patients qui, pour des raisons plus ou moins valables, ne pouvaient se rendre au cabinet médical. Il faisait chaud - trop chaud en tout cas à mon goût - et je pestais intérieurement contre l’énorme semi-remorque qui bloquait cette petite rue de la ville où résidait ma malade. J’abandonnai donc ma voiture et me dirigeai lentement vers le petit pavillon engoncé entre deux immeubles ordinaires, me félicitant que, au moins, je n’aie pas par cette chaleur à gravir je ne savais combien d’étages.

   Ma patiente était une vieille femme hypertendue, victime d’un malaise léger qu’elle avait mis sur le compte de sa « tension ». J’avais pratiquement fini de l’examiner et j’étais en train de la rassurer quand l’autre porte de la cuisine dans laquelle nous nous trouvions s’ouvrit brutalement. Un grand escogriffe plutôt âgé entra d’un seul coup, comme emporté par une colère intense, et s’exclama : « Allons bon, v’la qu’t’as encore appelé le toubib ! Décidément, tout c’t’argent foutu en l’air ! ». Sans même me laisser le temps de dire le moindre mot, l’homme était ressorti. La vieille femme laissa s’installer un petit instant de silence avant de me dire : « Faut pas vous en faire, docteur, c’est rien que mon mari. Il est comme ça, vous savez : il supporte pas que je me fasse soigner. Faut pas faire attention à lui ! ».

   Je terminai donc mon examen et, après avoir vu avec elle quelques modifications mineures à apporter à son ordonnance habituelle, je ne pus m’empêcher de demander :

Il est toujours comme ça, votre mari ?

Ah, lui, il râle tout le temps, pour un oui ou pour un non, me répondit la vieille dame. Et comme je restai à la regarder, elle ajouta :

Vous savez, c’est une histoire un peu curieuse. Imaginez donc : il travaillait à la fonderie et je dois dire qu’il a travaillé dur. Ca oui ! Mais le jour de sa retraite, il a décidé qu’il ne ferait plus rien. Plus rien.

Vous savez, répondis-je, c’est un cas assez fréquent. Certaines personnes décident qu’elles ont assez travaillé et, hop, elles ne veulent plus rien faire. Simplement se reposer.

Oui, mais lui, il ne fait vraiment plus rien. Absolument plus rien.

Comment ça ?

Rien, il ne fait plus rien.

Mais alors à quoi passe-t-il ses journées ?

Il reste allongé sur son lit. Il regarde le plafond.

Il regarde le plafond ? Enfin, Madame, il faut bien qu’il s’occupe ! Il doit bien faire quelque chose, je ne sais pas, moi, écrire, faire des mots croisés, des réussites…

Non. Rien.

Il regarde bien la télé ?

Jamais. Il dit que ça l’ennuie.

La radio ?

Jamais.

Alors il lit ?

Il n’a pas touché un livre ou lu un journal depuis au moins 20 ans.

Il ne se met pas à sa fenêtre ? Il doit au moins regarder passer les voitures, les gens…

Jamais.

Il vous parle, non ?

Le moins possible et uniquement pour rouspéter.

Mais enfin ce n’est pas possible : Il faut bien qu’il ait une occupation ! Il ne sort pas ?

Jamais. Il reste allongé sur son lit. Il regarde le plafond.

Vous avez des visites ? Des enfants ?

J’ai une fille qui est mariée en province mais quand elle vient, peut-être une ou deux fois par an, c’est le plus souvent elle qui monte. Elle est habituée à son caractère.

Ça me paraît presque incroyable, dis-je à la vieille femme avant de reprendre, soudain terriblement curieux : il ne sort jamais de sa chambre ?

Seulement pour les repas qu’il expédie le plus rapidement possible. Après il remonte pour s’allonger sur son lit. Les repas, c’est toujours à la même heure : 7 heures trente, midi et demie, huit heures. Tous les jours, dimanches et jours fériés aussi bien. D’ailleurs, vous avez vu ? Il était en colère parce qu’il est midi et demie et qu’il vous a trouvé ici avec moi et que la table n’est pas mise.

Quel âge a-t-il ?

Il va sur quatre-vingt six.

Et…

Oui, il est comme ça depuis plus de 20 ans.

Mais vous, vous ?

Moi, je dis : chacun fait comme il veut. Je m’occupe pas de lui, sauf pour son manger. Et quand il rouspète, je ne l’écoute même plus.

Voilà qui est effectivement singulier, ne pus-je m’empêcher d’ajouter. Il voit un médecin ?

Il dit toujours qu’il est malade, bien plus que moi qu’il dit, mais son médecin ne lui trouve jamais rien. Alors, il jette les médicaments et il reste dans sa chambre. Mais, vous savez, docteur, pendant qu’il regarde son plafond, eh bien, au moins, il me fiche la paix. Alors je me plains pas.

   Je quittai le pavillon de la vieille dame avec une étrange impression. Je ne mettais pas en doute la parole de ma patiente mais je me demandais comment un être doué de raison pouvait vivre dans ces conditions là. Un terrible état dépressif ? Une démence sénile ? Une autre maladie psychiatrique ? Rien ne collait vraiment et cet étrange cas restait un mystère pour moi. Sur le trottoir, devant le pavillon, je jetai un œil sur les fenêtres de l’étage. Mais personne ne guettait mon départ. L’homme devait être allongé sur son lit à regarder son plafond. J’en apercevais un petit morceau entre les rideaux. Un plafond blanc et vide. Comme sa vie.

 

 

 

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29 avril 2012 7 29 /04 /avril /2012 15:20

 

 

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Dans cette partie de la ville – qui a depuis fort changé – on trouvait nombre de petites habitations individuelles servant de refuge à bien des retraités qui vivaient là une fin de vie paisible. Aujourd’hui, on parlerait de banlieue pavillonnaire et le souvenir que j’en ai gardé est effectivement celui de ces maisonnettes en meulière qui ne dépassaient guère un étage mais s’enorgueillissaient d’un petit jardin toujours amoureusement entretenu. Ce n’était pas encore la mode anglo-saxonne des gazons et les vieilles gens d’alors lui préféraient les massifs de fleurs, les chemins de gravier et les arbres, un peu toujours les mêmes il est vrai. Beaucoup entretenaient également un coin potager qui présentait l’avantage de les occuper considérablement tout en leur donnant l’impression d’économiser sur leurs dépenses alimentaires.

Monsieur S. était un de ceux-là mais comme il arrivait au crépuscule de sa vie, cette tâche quotidienne lui était devenue chaque jour un peu plus pénible. C’était un homme sec et de petite taille, toujours vêtu des mêmes habits, élimés mais impeccablement propres. Veuf, il allait à petits pas, sans se presser, pour son habituelle promenade de midi avant de regagner le pavillon que lui et sa femme avaient mis toute une vie à payer. Ses enfants, qui n’habitaient pas loin, venaient rarement le voir mais il ne semblait pas en souffrir puisque, comme il le disait volontiers, « il faut bien que les jeunes fassent leurs vies ». Il ne nous rendait pas souvent visite au cabinet puisqu’il ne se plaignait guère des maux qui, souvent, accablent cette partie de notre existence.

Ce fut donc avec surprise que je vis un jour débarquer ses enfants et petits-enfants, venus en délégation, pour me dire que « le grand-père, ça va pas du tout ! ». Devant mon étonnement, moi qui l’avais encore vu quelques jours auparavant marchant d’un pas lent sur un des trottoirs de la ville, ils m’expliquèrent avec force détails que « le grand-père, y a sa mémoire qui fiche le camp. Vous comprenez, Docteur, nous, on s’inquiète. On a peur qu’il oublie quelque chose sur le gaz et que ça fasse tout sauter. Et puis, on a l’impression qu’il est plus comme avant. Il oublie tout : tenez, l’autre jour, il ne savait même plus qu’on était dimanche… Et puis, y a sa vue qui baisse… ».

Je m’efforçai de rassurer cette étrange procession familiale, non sans me demander s’il n’existait pas un problème réel que j’aurais pu ne pas percevoir. Nous tombâmes d’accord sur une prochaine consultation du vieil homme afin d’éclaircir les raisons de cette sollicitude soudaine et d’en apprécier les éventuels fondements car, après tout, qui connaît mieux les êtres que leur famille proche… « Mais ça va être dur de le décider, Docteur, car, vous savez, le grand-père, il n’est pas si facile à manier. On fera ce qu’on pourra pour qu’il vous rende visite… S’il n’oublie pas » ajouta sa belle-fille. « Peut-être faudra-t-il prévoir, un jour ou l’autre, un placement si on ne peut pas faire autrement, conclut son fils, car il ne faudrait pas qu’il lui arrive quelque chose, vous êtes bien d’accord, n’est-ce pas, Docteur ? »

Cherchant à rassurer ces bonnes âmes, j’insistai particulièrement sur la fragilité de tels sujets, sur la nécessité de ne jamais rien brusquer, de conserver aussi longtemps que possible un statut quo qui ne dérange personne et je m’entends encore affirmer :

- « Si, si, c’est promis, je le verrai, votre papa, et je vous dirai sincèrement si je pense qu’il peut continuer à habiter seul son pavillon. Mais, je vous assure qu’il faut toujours chercher à ne pas séparer les vieilles gens de leur petit monde à eux, sinon, bien souvent, on court à la catastrophe… ».

Monsieur S. s’inscrivit à ma consultation quelques jours plus tard. Il était exact que le vieil homme avait quelque peu décliné, au plan physique essentiellement puisqu’il se plaignait de douleurs rhumatismales diffuses, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Mais, étant donné son âge, je ne trouvai rien là de rédhibitoire, rien qui vaille en tous cas l’inquiétude de ses enfants. Sa mémoire n’était pas si mauvaise et je le sentais plutôt bien inséré dans son petit univers. Si on ne lui demandait guère plus que de poursuivre son existence tranquille, si on ne cherchait pas à lui imposer des contraintes ou des activités nouvelles, toujours pénalisantes à pareil âge, j’étais bien persuadé qu’il pourrait encore prolonger de nombreux mois sa fin de vie dans le cadre paisible qui était le sien. Je le rassurai donc sur son état de santé et me contentai de lui demander de me rendre de petites visites régulières, pour une surveillance occasionnelle largement suffisante pour son cas qui n’était pas bien grave. Il serait toujours temps d’agir si le besoin devait s’en faire sentir.

Le fils de Monsieur S. était, quant à lui, hypertendu et venait en conséquence nous voir régulièrement pour la surveillance d’une affection bien réelle celle-là. C’est donc une à deux semaines plus tard que je pus demander, au hasard de cette visite de routine, comment se portait notre souci commun.

- « Mais vous ne savez pas, Docteur ? Mon père a dû être hospitalisé. Il est à l’hôpital où on s’occupe bien de lui, je peux en témoigner. Car ce n’était plus possible : ma femme était morte de fatigue à faire sans arrêt l’aller-retour entre l’appartement et la maison du grand-père… Obligée, vous pensez bien, car on avait toujours la crainte qu’il arrive quelque chose. Vous savez, on ne peut pas compter sur les voisins alors c’était plus une vie de toujours courir. Tenez, ma femme qui l’aime énormément, eh bien, elle en avait quasiment perdu le sommeil. Si, Docteur, je vous assure. Et moi, la bile que je me suis faite… A l’hôpital, au moins, on sait qu’il est surveillé et qu’il ne peut rien lui arriver. Et puis, il y est drôlement bien : là-bas, c’est nickel partout. Les infirmières sont très dévouées, toujours impeccables. Dans cet hôpital, c’est tout blanc, propre et tout. Y a même la télé en couleurs ! Ah, ça, on peut dire qu’il y est bien. Ca le change du gourbi où il se trouvait, pour sûr ! ».

J’avais écouté sans rien dire ce grand discours. Je n’étais plus sûr de rien : se pouvait-il que le vieil homme que j’avais trouvé si présent, si lucide, ait pu me tromper ainsi ? Se pouvait-il que ses enfants aient connu un autre monsieur S., affaibli dans ses fonctions mentales au point d’être un danger véritable pour lui et peut-être pour les autres ? Je me demandais comment j’avais pu ainsi être abusé. Au fond, je n’étais sans doute pas aussi malin que je le pensais puisque je n’étais pas capable de voir la maladie et la déchéance là où elles se trouvaient. La conversation en serait restée là que j’aurais vraisemblablement conclu à un manque de vigilance de ma part, à un échec diagnostique certain, comme cela, hélas, devait m’arriver trop souvent. Mais, interprétant à tort mon silence, le fils de monsieur S. qui se rhabillait et revenait à mon bureau, baissa soudain le ton de sa voix et ajouta :

- « Et puis il y avait cette situation absurde : lui, tout seul à s’ennuyer dans sa grande maison et nous, obligés de vivre à quatre dans un deux pièces. Vous vous rendez compte : pour les enfants, ne serait ce que pour eux, c’était tout à fait injuste. Alors, dans le fond, cette maladie, ça arrange les affaires de tous : le grand-père est enfin vraiment pris en charge et nous, on pourra être un peu plus à l’aise. Parce que le grand-père est d’accord. Comme il sait qu’il ira dans une maison avec des vieux comme lui, après l’hôpital, eh bien, il nous a proposé d’habiter le pavillon. C’est vraiment chic de sa part, n’est-ce pas ? Et nous, on est enfin rassurés sur son sort. Voilà une histoire qui se termine bien, vous ne trouvez pas, Docteur ?

J’étais plus que mal à l’aise. A tort ou à raison, je ne croyais pas un traître mot de ce que m’avançait mon interlocuteur. Cette soudaine attention pour le « grand-père », après tant de mois d’absence, m’apparaissait sous un jour nouveau. J’étais pratiquement certain que cette solution qui « arrangeait tout le monde » avait été extorquée au vieil homme et qu’il avait été obligé d’échanger sa liberté paisible contre la pesante sollicitude de l’institution. Je trouvais cela ignoble mais on ne m’avait pas demandé mon avis que, d’ailleurs, je n’avais guère à donner dans cette navrante histoire de famille. Je n’étais de plus nullement certain que les enfants aient eu la totale compréhension de l’acte qu’ils avaient suscité. Peut-être avaient ils fini par croire à leur dévouement supposé ? Je décidai quand même de ne pas en rester là et de rendre visite le plus tôt possible à monsieur S. afin d’avoir, si cela était réalisable, sa version de l’histoire ou, à défaut, de me rendre compte par moi-même de son état. Je n’en eus pas le temps : monsieur S. mourut exactement le quatorzième jour de son hospitalisation. On n’a jamais su pourquoi.

 

 

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13 avril 2012 5 13 /04 /avril /2012 15:56

 

 

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      Le Professeur C. – un grand nom aujourd’hui oublié – était le prototype même du grand patron. Je le revois dans cette immense salle de l’hôpital X (dont il avait su faire un des grands centres de l’urologie française), arpentant nerveusement l’estrade qui faisait face aux chaises à pupitres où avait pris place l’aréopage de ses admirateurs ; on y trouvait mêlés, chaque samedi matin jour de « staff », pour une de ces séances dont il avait le secret, internes, chefs de clinique, infirmières de tous rangs, médecins étrangers et parfois même quelques administratifs égarés là pour une confrontation avec la « grande médecine ». Nous, les externes de rang inférieur, nous étions relégués aux dernières places mais, pour tout l’or du monde, nous n’aurions pas voulu manquer une miette de ce spectacle aussi insolite qu’enrichissant.

L’homme était de petite taille, volontiers ventripotent, et savait faire alterner les moments de mutisme absolu avec des minutes d’intense activité durant lesquelles, volubile, passionné, les gestes saccadés pour de longues tirades enflammées qui confinaient parfois au théâtralisme, il paraissait résumer à lui seul toute l’activité du service. Il marchait alors de long en large, tête baissée, les mains enfouies dans la grande poche ventrale de son tablier blanc immaculé ou, au contraire, fermement serrées dans son dos. Lorsqu’il s’arrêtait brusquement, ses yeux clairs se levaient par dessus le demi-cercle de ses lunettes, à la recherche du regard d’un quelconque interlocuteur, soudainement extraordinairement mal à l’aise. Dans la rue, on n’aurait pas daigné accorder le moindre coup d’œil à cette silhouette banale mais, dans l’intimité de cette salle du samedi, il était le centre convergeant de tous les intérêts et de toutes les inquiétudes, presque un demi-dieu.

On disait de lui que c’était un chirurgien trop pressé, trop brutal, mais au diagnostic sûr et qui paraissait aussi à l’aise dans la communication de son art que dans son application réelle. De nos jours où la médecine et la chirurgie sont devenues formidablement techniques au point de ne plus exister qu’au travers d’explorations et examens complémentaires multiples et d’en devenir de ce fait souvent soporifiques, un tel personnage apparaît comme d’un autre temps, quand les sciences médicales, à défaut d’une technicité poussée à son extrême à la manière anglo-saxonne, savaient capter l’intérêt de chacun et éveiller les vocations les plus improbables, quand, en somme, la médecine avait du panache.

Ce matin-là, à l’issue de la présentation d’un cas longtemps discuté car de diagnostic imprécis, pour expliquer qu’il ne fallait jamais renoncer à trouver toujours et encore une explication aux signes observés, il nous raconta l’étrange anecdote suivante :

« Mes seigneurs, commença le petit homme en plissant les yeux avec malice, j’ai, il y a longtemps appris qu’il ne faut jamais renoncer à expliquer les choses. Quand elles nous paraissent incompréhensibles, il n’y a en réalité que deux situations possibles : soit nos connaissances sont incomplètes et nous ne possédons pas encore les moyens de conclure mais, le temps passant, j’ai l’espoir que ce type de situations sera de moins en moins fréquent, soit – et c’est bien trop souvent le cas - nous ne savons pas comprendre les faits, ou plutôt les observer. Oui, souvent, nous ne savons pas, par précipitation ou par bêtise, voir, regarder, apprécier, comparer. Nous sommes trop pressés et, en conséquence, nous n’accordons pas l’importance qu’il faut aux signes qui pourtant nous crèvent les yeux : nous ne croyons pas assez à la clinique !

 Vous le savez peut-être mais avant de m’intéresser de près à l’urologie, j’ai fait comme tout un chacun mes classes dans bien d’autres disciplines. Une année, je me trouvais interne en gynécologie lorsque je vis débarquer une actrice de cinéma d’origine étrangère, américaine pour être précis, à l’époque très connue et dont je tairai bien entendu le nom pour les raisons que vous comprenez, j’en suis sûr. Cette femme, au demeurant fort belle, se plaignait d’une douleur assez mystérieuse du petit bassin, volontiers paroxystique mais sans qu’on puisse retrouver, à ce qu’elle disait, de facteurs déclenchants particuliers. Toutefois, cette douleur se trouvait exagérée lors des rapports sexuels qu’elle subissait de ce fait à contrecœur, ce qui, soit dit en passant, devait être pour elle un handicap certain pour l’exercice de son dur métier.

Je l’examinai donc avec attention mais, comme bien d’autres avant moi, je ne pus rien retrouver de nature à expliquer le trouble de ma patiente. Je la renvoyai donc chez elle avec je ne sais quelle crème apaisante et en lui proposant de revenir me voir en cas d’échec. Ce qu’elle fit quelques jours plus tard. A nouveau, je l’examine et à nouveau je la renvoie chez elle sans rien objectiver de concluant.

Quand elle vient me consulter pour la troisième fois un peu plus tard, je commence à me méfier et je me demande tout bonnement si je n’ai pas affaire à une cinglée, une de ces hystériques qui ne sont jamais satisfaites – et pour cause – des traitements qu’on leur propose. Il faut dire que cette artiste représentait tout ce dont je me méfie : le milieu du cinéma, la célébrité de pacotille, bref ce monde assez artificiel qui a peu à voir avec celui de la médecine et de la souffrance des hommes. Et je l’avoue, je l’avoue humblement, mes seigneurs, elle a vite fait, cette pauvre femme, de me taper sur les nerfs avec sa maladie qui n’en est pas une au point que tout, absolument tout, dans son examen est strictement normal. Je sais, je sais que certains ici que j’entends ricaner stupidement auraient tout simplement adressé la bonne femme chez le psychiatre. Mais, à l’époque, les psychiatres étaient encore plus mauvais que ceux d’aujourd’hui, ce qui n’est pas peu dire ! Et puis, comment annoncer à cette actrice que le monde entier admirait chaque soir sur les écrans de cinéma qu’elle relevait de la psychiatrie, que, en somme, elle était folle, complètement tarée. Impossible ! Pourtant, il faut bien que je m’en débarrasse d’une manière ou d’une autre, d’autant qu’elle commence vraiment à m’agacer. Alors voilà que je suis pris d’une idée subite et je lui dis : Madame, votre cas est compliqué et il va falloir faire exactement ce que je vous dis. Voilà : chaque matin et soir, vous allez vous faire un bain de siège avec du Champagne mais, attention, pas n’importe lequel : de la Clicquot-Ponsardin et rien d’autre. Et encore, il est impératif que ce soit de la cuvée 1929 sinon je ne réponds de rien ! Rappelez-vous bien, Madame, de la veuve Clicquot 1929 !

Bien entendu, à l’écoute de ce cas clinique exubérant, les rires et les cris étaient au paroxysme dans l’assistance, au point que même certains néphrologues du service rival d’à côté (ceux du service du Professeur H. que nous appelions avec une condescendance mêlée de mépris « les médecins ») étaient venus se joindre aux rieurs. On prenait les paris sur la morale de cette histoire abracadabrante et chacun se demandait si le petit homme avait quelque chose à ajouter ou si le mépris supposé des femmes qu’on lui attribuait allait le lancer dans une de ses grandes diatribes sur la difficulté de la médecine et les exigences excessives des malades. Le professeur C. avait marqué un temps d’arrêt dans sa narration, certes de manière à permettre au chahut pour une fois autorisé de se dissiper, mais surtout pour donner plus de poids à ce qui allait suivre. Le silence en partie revenu, le petit homme poursuivit.

Alors, mes seigneurs, que croyez-vous qu’il arriva ? Je pensais bien être définitivement débarrassé de la jeune personne. Certes, au prix d’une rancune que j’imaginais devoir être tenace mais, baste… Or, quelle ne fut pas ma surprise de savoir que ma patiente s’était inscrite pour une nouvelle consultation. J’avoue que j’appréhendais quelque peu de me retrouver en face de cette femme qui devait très certainement m’en vouloir de m’être ainsi moqué d’elle. Mais pas du tout ! Pas du tout ! Dès que je la fais entrer, elle  se précipite vers moi et me crie : « Ah, Docteur, merci, mille fois merci car vous m’avez sauvé la vie ! J’ai fait comme vous me l’aviez prescrit, le Champagne, la cuvée 1929, tout ! Et c’est extraordinaire : je n’ai plus mal ! Je n’ai plus mal du tout ! » Vous pouvez juger de ma stupéfaction… Je me demande si, tout compte fait, je n’avais pas affaire à une véritable folle, l’hystérique que j’évoquais tout à l’heure. Je me décide quand même à l’examiner à nouveau et c’est là que je le trouve enfin : cette pauvre femme avait un polype minuscule à l’entrée de l’urèthre et je peux le voir car il a été nécrosé par le gaz carbonique du Champagne ! Comme je vous le dis, mes enfants, elle avait vraiment une petite tumeur hyperalgique et nous étions tous passés à côté ! Vous voyez bien que la veuve Clicquot ne sert pas qu’aux anniversaires !

Les cris des uns et des autres auxquels, bien évidemment, je m’étais joint, ne me firent jamais oublier cette petite leçon d’humilité. Bien entendu, je ne prétends pas que de telles anecdotes étaient de nature à faire progresser chez l’impétrant que j’étais la connaissance de son métier : il s’agit là, à l’évidence, d’une trop belle histoire, forcément unique et difficilement reproductible. Mais ce que le Professeur C. cherchait à nous enseigner – et que je n’ai jamais oublié par la suite -, c’est que la médecine, comme toutes les sciences de la Nature, repose sur des réalités auprès desquelles nous passons trop souvent sans même les soupçonner et qu’il nous faut toujours, avant de baisser les bras, nous interroger sur la matérialité des faits. Toujours vérifier si la clinique n’a pas, là, sous nos yeux qui ne savent pas regarder, déjà donné la solution. En somme, il nous faut rester modeste, très modeste devant la maladie qui ne se livre qu’à ceux qui veulent vraiment la comprendre. Cette leçon, je l’ai retenue et ce n’est sans doute pas un hasard si ce grand patron de jadis savait nous l’enseigner en nous amusant. Le panache !

 

 

 

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31 mars 2012 6 31 /03 /mars /2012 15:29

 

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Mon premier vrai remplacement de médecine générale me propulsa dans un coin de France où je n’avais encore jamais mis les pieds. Dire que le dépaysement était pour moi intense est un euphémisme mais il fallait bien commencer quelque part et si la Picardie, en pleine campagne sucrière, ne m’inspirait guère, c’était le lieu où j’allais enfin pouvoir exprimer tout ce que j’avais si laborieusement appris au long des années précédentes. A défaut d’expérience, j’étais donc plein de courage et, ne doutant de rien, j’espérais bien rendre service à l’Humanité souffrante.

Comme tous les débutants, je n’étais pas très fier en arrivant sur les lieux de mes (futurs) exploits, d’autant que j’avais convaincu la secrétaire du cabinet médical où je remplaçais l’un des deux médecins, de ne pas prévenir les malades de ce que le médecin en titre était parti se faire bronzer quelque part plus au sud. C’était très certainement une erreur mais on n’apprend que peu à peu les rudiments de la psychologie humaine.

Composé à la fois d’une partie citadine provinciale et d’une campagne plus typique, le secteur que je parcourais avec la foi de la jeunesse m’exposait le plus souvent à des visages surpris quand ils n’étaient pas carrément hostiles.

Ma quatrième journée était consacrée toute entière aux visites à domicile et j’arrivai bientôt, le cœur serré d’un accueil imprévisible, devant une maisonnette aux volets pimpants qui se tenait un peu à l’écart de la grande route locale. J’inspectai avec attention les environs composés de champs, de chemins vicinaux et de quelques rares arbres. Rien ne bougeait et le silence était assez intense pour que je prenne la peine de le remarquer. Je me décidai finalement à sonner. Presque aussitôt, la porte s’ouvrit sur une femme d’une soixantaine d’années qui, apparemment, guettait mon arrivée. Contrairement à mon attente, et avant que je ne puisse prononcer la moindre parole, elle s’exclama : « Ah, Dieu Merci, c’est un remplaçant ! » ce qui ne manqua pas de m’étonner. La femme parlait doucement d’une voix rauque et essoufflée qui me donna la certitude que j’étais bien face à ma patiente.

S’effaçant pour me laisser entrer, elle me conduisit directement dans un petit salon plutôt obscur qui, comme tous les endroits qui servent de refuge à de grands malades, sentait le renfermé et une vague odeur de médicament. La pièce était en désordre, témoignant de ce que sa propriétaire avait d’autres soucis en tête que d’en assurer le ménage. La femme s’écroula plus qu’elle ne s’assit dans un petit fauteuil d’angle et ce fut elle encore qui reprit la parole. « Je suis bien contente, Docteur, de vous voir vous et pas le docteur D. car j’ai un grand, très grand service à vous demander. Voilà… ».

Son histoire que j’écoutais en silence était bien triste à défaut d’être originale. Elle souffrait d’un cancer du poumon – un anaplasique à petites cellules si j’ai bonne mémoire – dont l’évolution était fort avancée et au delà de toutes ressources thérapeutiques, comme on dit obligeamment dans la profession. La fin de cette malheureuse était en conséquence très prévisible, dans la douleur intense et l’étouffement progressif, fort éprouvant sur le tard. Mais ce qu’elle me demandait était plus singulier. Le médecin que j’avais à cet instant précis le malheur de remplacer était un excellent homme très catholique, comme on en rencontre beaucoup dans le nord de la France, et sa foi profonde l’empêchait d’accéder au désir ultime de sa malade qui était d’abréger le plus confortablement possible sa souffrance. Elle espérait donc que, moins intransigeant ou plus influençable, je saurais l’aider à surmonter cette dernière épreuve.

Tout en écoutant ce discours suppliant et probablement répété mentalement à maintes reprises, je m’étais assis et me disais que j’étais plus tôt que prévu confronté à ce type d’épreuve qui n’est jamais abordé dans les exposés magistraux et les livres de médecine. Je n’étais pas préparé mais il me fallait néanmoins répondre sans attendre à la supplique. Je m’éclaircis la voix et entamai un discours bien moralisateur sur la nécessité de garder l’espoir, de ne pas céder trop vite au découragement, bref toutes ces formules creuses que l’on garde en réserve pour l’occasion. La femme me dévisageait avec avidité et je voyais, au fur et à mesure que je prononçais les paroles qu’elle redoutait, son visage se figer et ses yeux s’embuer. Je m’arrêtai soudain au beau milieu d’une phrase, posai ma main sur son épaule dans un geste de compréhension extrême et, après un bref silence, lui demandai : « Madame, vous êtes sûre ? Absolument sûre ? ». Son visage s’éclaira d’un bref sourire triste et elle me chuchota : « Bien sûr, Docteur, vous pensez bien… ». Ma décision était prise. Aucune raison médicale, aucun motif personnel ne m’y avaient conduit mais un simple besoin d’humanité, le seul désir de redonner à cette grande malade le choix de ce qui me paraissait être le dernier acte volontaire de sa vie. Je savais pourtant qu'il s'agissait là d'un acte particulièrement grave qui allait à l'encontre de tout ce que pouvait enseigner la Société. Mais je savais aussi les longues heures de souffrance inutile à venir et l'inébranlable volonté de la malade d'y mettre enfin un terme à la suite d'une décision mûrement réfléchie. Je n'étais que le messager. Rien de plus.

J’ai toujours sur moi quelques ampoules de morphine, drogue évidemment tout à fait contre-indiquée en cas d’insuffisance respiratoire et qui présentait ici le double avantage de répondre au vœu de la patiente tout en lui procurant une phase certaine de bien-être. Je lui en fis donc l’injection et, dans un geste nullement prémédité, je m’empressai de faire disparaître ampoules et seringue dans la poche de ma veste.

Lorsque je quittai la petite maison, la femme répondit presque distraitement à mon au revoir, comme si déjà elle se préparait à cette issue si ardemment souhaitée et si proche désormais. Quant à moi, je n’éprouvai nul remords puisque je m’étais en somme contenté d’accomplir ce que j’aurais voulu qu’un autre me fasse si j’avais été moi-même confronté à la terrible maladie.

Je ne réentendis parler de cette triste affaire que quelques heures plus tard, en revenant au cabinet. La secrétaire était devant son bureau et dès qu’elle m’aperçut, elle se précipita vers moi : « Docteur, je ne sais pas ce qui se passe mais l’infirmière de Mme X téléphone toutes les cinq minutes. Elle veut vous parler personnellement ! ».

L’infirmière était tout simplement hors d’elle et n’arrivait que difficilement à trouver ses mots tant son agitation était intense.

- « Docteur, madame X est morte, criait-elle. C’est moi qui l’ai trouvée. Qu’est-ce que vous lui avez fait ? Je sais que vous venez de la voir ! »

- « Mais rien, madame, que croyez vous ? » répondis-je du ton le plus calme dont je fus capable. Mais elle ne m’écoutait pas.

- « Vous l’avez tuée. Je sais que vous l’avez tuée. C’est un crime ! »

- « Madame, vos insinuations sont scandaleuses et je ne veux rien entendre de plus » rétorquai-je en raccrochant brutalement.

Je restai quelques instants immobile, face à la secrétaire qui mourait d’envie d’en savoir plus. Lorsque je retirai ma main de ma poche, je me rendis compte en voyant une goutte de sang que je m’étais involontairement blessé en égrenant entre mes doigts l’ampoule vide de morphine que je me félicitais à présent d’avoir eu le réflexe de reprendre. Je ne regrettais rien puisque j’étais certain d’avoir fait ce que je croyais devoir faire. Je n’entendis plus jamais parler de madame X et de son infirmière mais c’est peut-être de ce jour-là que data l’hostilité à peine voilée du confrère qui travaillait avec moi et qui sut me rendre le reste de mon remplacement assez pénible.

Aujourd’hui, même lorsque je pratique au lit du malade une injection des plus anodines, je n’oublie jamais de reprendre mes ampoules vides.

 

 

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18 mars 2012 7 18 /03 /mars /2012 16:36

 

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     A défaut d’être original, le couple qui se tenait devant moi semblait pour le moins disparate. La femme observait ses souliers et son embarras était certainement en rapport avec son aspect négligé, ses vêtements désaccordés, déchirés et salis et ses cheveux rabattus vers l’arrière du crâne en un grand désordre. Elle se tordait les mains en une espèce de désespoir, se balançant lentement d’avant en arrière. Elle pouvait avoir une soixantaine d’années mais il était difficile de se faire une réelle opinion tant son aspect physique traduisait un délabrement intense : presque une épave déjà. Par opposition, son compagnon, bien plus jeune – la quarantaine à peine – faisait meilleure figure.  Blond, les yeux bleus quelque peu larmoyants et le visage souriant, ses vêtements simples mais relativement soignés – un pantalon clair et un polo beige - trahissaient une silhouette mince et musclée. Ce couple avait pourtant quelque chose en commun, facilement décelable pour un professionnel habitué à ce type de malades : l’alcoolisme. L’alcoolisme était présent en eux comme une sorte de malédiction et on le saisissait immédiatement à leur aspect physique, à leur attitude et, par la suite, à leur façon de s’exprimer.

  D’une parole et d’un geste du bras, je les engageais doucement à m’expliquer la raison de leur visite au cabinet médical. Ce fut l’homme qui répondit.

- C’est ma femme, docteur. Elle a des boutons qui veulent pas partir… Allez, chérie, explique au docteur…

- Ben voilà, docteur, ça fait plusieurs jours que j’ai ça…

    La femme avait relevé la tête et je pouvais enfin réellement l’observer. Elle présentait effectivement à la base gauche de son cou, un peu en arrière et en bas de l’oreille, trois ou quatre tuméfactions dont l’une assez volumineuse. Je m’approchai d’elle. Les tuméfactions étaient en fait surinfectées, probablement en raison d’un grattage intense qui avait forcément aggravé les lésions de départ. Malgré un interrogatoire difficile mais approfondi, il me fut impossible de déterminer la cause réelle de ces plaies plutôt étranges qui n’éveillaient aucun point de comparaison dans mes souvenirs. Je décidai dans un premier temps de traiter la surinfection, me réservant de constater ensuite ce qui pourrait subsister de cette éruption cutanée, à supposer évidemment qu’elle n’ait pas entre-temps disparu. Après un examen plus général qui ne m’apporta aucun élément probant en dehors de la confirmation de l’intoxication éthylique, je prescrivis les médications adaptées ainsi qu’un bilan biologique dont je doutais qu’il serait effectué. En effet, à cette époque, la CMU 1 n’existait pas encore et j’étais par conséquent convaincu de ne plus entendre parler de ce couple singulier.

     J’avais tort : quelques jours plus tard – une dizaine tout au plus – la patiente et son compagnon étaient à nouveau dans mon cabinet et, avant même que je prononce la moindre parole de bienvenue, la femme m’apostropha :

- Les boutons, docteur, eh bien, y sont revenus et ça me fait drôlement mal. Vous croyez qu’vous allez pouvoir faire queq’chose ?

    Je ne répondis pas immédiatement à cette question en forme de revendication qui sonnait à mes oreilles comme si l’on me reprochait une insuffisance, ou plutôt une inconstance, de résultat. La femme, encouragée par son compagnon qui hochait la tête avec conviction, me jura ses grands dieux qu’elle avait bien pris ses médicaments qui, d’ailleurs, avaient dans un premier temps fait reculer l’éruption avant que d’autres vésicules n’apparaissent et, évidemment, ne se surinfectent à leur tour. La malade avait raison : cette éruption qui recouvrait toute la base de son cou et atteignait même son menton et sa lèvre inférieure était assez particulière. Observée à la lampe et en dépit de la surinfection qui modifiait tout, il me semblait apercevoir en fait des sortes de papules dont certaines paraissaient percées en leur centre par un ou deux points noirs, comme si l’on avait procédé avec un aiguille pour les vider de leur liquide. Cela n’avait pas de sens : qui aurait voulu faire une chose pareille à moins de chercher à  soulager un prurit intense (probablement pas avec une aiguille mais avec l’ongle) ou une tension particulièrement douloureuse, deux éventualités que la patiente démentait avec force. Autour des lésions, la peau était comme abîmée, fripée mais il était bien sûr difficile de se faire une idée définitive en raison des modifications postérieures à l’éruption et, d’une manière plus générale, de l’habitus assez dégradé de la plaignante. Je proposais derechef un traitement anti-infectieux local et général, une pommade anti-inflammatoire et demandait à mes interlocuteurs de revenir si la situation ne s’améliorait pas. J’avais déjà renoncé à adresser la femme à un confrère dermatologue puisqu’elle m’avait affirmé qu’elle ne « voulait pas voir un spécialiste de la peau pour si peu » et décidé de ne pas prescrire de prélèvements cutanés pour d’éventuelles cultures microbiennes : la malade ne suivrait pas cette prescription et, de plus, cela ne m’apporterait vraisemblablement pas grand chose au plan diagnostique. Il existe ainsi des situations qui sont indéniablement frustrantes quand on doit se contenter d’actions à visée essentiellement symptomatique, là où une approche étiologique aurait probablement permis l’absence de récidives. Toutefois cette malade était bien singulière et je devais me réjouir d’avoir pu la soulager même sans explication.

     L’affaire en serait restée là qu’elle aurait fait partie de ces nombreux cas où aucune explication véritable n’est avancée et où, après maints tâtonnements, le thérapeute arrive à apporter à son patient ce pourquoi celui-ci l’a consulté : la sédation de ses troubles. Si l’esprit n’est pas récompensé de sa curiosité, au moins est-il raisonnablement rassuré. Une dizaine de jours encore et je réentendis parler de cette éruption à répétition : cette fois, seul le compagnon était à ma porte et me demandait de venir « consulter sa femme à domicile parce que le mal est revenu au point de la défigurer et même de lui avoir provoqué un malaise et c’est pourquoi elle peut pas venir consulter ici : elle est encore trop faible, vous comprenez, docteur ». Je promis de venir au plus vite.

     De fait, dès ma consultation achevée, je me mis en route vers l’adresse fournie par l’homme, une zone semi-désertique entre deux rangées de pavillon en meulière où séjournaient tant bien que mal quelques caravanes plutôt usagées. C’est dans la plus délabrée d’entre elles que m’attendait le compagnon. L’intérieur de cet ancien habitacle roulant sédentarisé était à l’avenant : crasseux et désordonné. Des linges salis, des couvertures trouées, de vieilles revues jonchaient un sol maculé de taches multiples et recouvert de vieux mégots de cigarettes et de bouteilles vides. Si l’on imagine que ce plancher était à peu près le seul endroit convenable du lieu, on aura compris que je ne me faisais aucune illusion sur l’origine de ce qui motivait ma venue. Le « malaise » et la « faiblesse » étaient la conséquence naturelle d’une intoxication enolique certainement un peu plus soutenue qu’à l’ordinaire : du fait, l’éruption cutanée devait être en rapport (allergie, foyer microbien, mille autres causes possibles) avec l’hygiène déficitaire du lieu.

     Affalée sur un matelas avachi et déchiré recouvert de torchons infâmes qui avaient jadis été des draps et des couvertures, la femme était étendue de trois quarts travers sur le dos et respirait lourdement. L’éruption avait effectivement gagné le visage puisque, alors que les plaies du cou avaient pratiquement disparu, de nouvelles cloques avaient colonisé l’hémiface droite de la femme, l’une d’entre elles recouvrant sa paupière supérieure au point que l’œdème réactionnel lui obturait certainement l’œil. C’était assez impressionnant au point que, pour la première fois, je fus saisi d’une profonde inquiétude : et s’il s’agissait en fin de compte d’une affection bizarre et rare, peut-être infectieuse et pourquoi pas parasitaire ou même – le contexte s’y prêtait certainement – une zoonose 2 ? Y avait-il donc des rats par ici ? Je posai ma mallette comme je pus, sortis mon tensiomètre et mon stéthoscope et, assis le moins possible sur le bord du lit, entrepris de commencer un examen qui avait toutes les chances de se trouver aussi frustrant que les précédents. Cette fois-ci, je décidai qu’on n’allait pas en rester là et que, d’une manière ou d’une autre, une investigation plus approfondie serait menée, quitte à ce que ce soit en milieu hospitalier. L’homme était resté debout et je lui proposai de relever sa compagne avec moi afin que je puisse pratiquer une auscultation pulmonaire. C’est en soulevant la malade que nous déplaçâmes sans le vouloir le tas de chiffons qui faisait office d’oreiller. En dessous, le matelas présentait un trou d’usure, un orifice d’environ cinq centimètres d’un diamètre irrégulier, et, dans mon geste de redressement de la femme, ce fut du coin de l’œil que je perçus un mouvement. C’était absurde : voilà à présent que je voyais bouger les choses ! Pourtant, sans réfléchir, je me saisis d’une ancienne tringle à rideaux qui reposait contre la paroi de la caravane et fit mine d’explorer l’anfractuosité du matelas ; je n’avais pas rêvé : mon geste provoqua la panique dans un nid d’araignées de toutes tailles qui s’éparpillèrent sur le galetas. Des épeires à ce que je pouvais en juger, plutôt grosses pour au moins deux d’entre elles, et pas de misérables faucheux qui auraient été écrasés par le poids des corps humains. Du coup, j’avais l’explication de l’étrange affection de ma malade : de simples morsures d’araignées chez une femme que les comas éthyliques rendaient incapables de se défendre, ni même d’identifier la cause de ses tracas. Au bout du compte, c’était bien une espèce de zoonose mais très spéciale…

     L’homme paraissait aussi surpris que moi. Lui aussi, bien qu’il n’y dormit point de manière régulière, avait parfois utilisé ce lit sans jamais rien remarquer. « Et vous êtes sûr, docteur, que c’est ça qui… ? » essaya-t-il sans y croire, une question qu’il ne réitéra pas face à mon œil réprobateur. Je prescrivis à nouveau les traitements idoines mais insistait plus que fortement sur la nécessité d’utiliser des produits désinfectants et susceptibles d’exterminer les insectes et autres arachnides qui devaient pulluler dans cet environnement pour eux très favorable. La Mairie, peut-être ? L’homme ne parut guère convaincu et je doutai très sincèrement de ce que ce couple étrange se risque à entreprendre la moindre démarche. Cela ne faisait rien : moi, j’étais bien décidé à alerter les services sociaux sur ce qui représentait certainement une anomalie en notre siècle de progrès et de lumière. Qu’en a-t-il résulté ? Je n’en sais rien. Peut-être l’homme et la femme ont-ils tout bonnement tourné le dos à cette aide dérangeante pour eux. Peut-être ont-ils continué comme si de rien n’était leur petit bout de chemin dans des délires éthyliques pour une fois peuplés d’araignées absolument authentiques et peut-être, à quelque kilomètres de moi, un confrère est-il à son tour plongé dans la perplexité face à des éruptions de la face au caractère très inhabituel.

 

 

 

 1. CMU = Couverture Médicale Universelle permettant de prendre en charge les populations les plus défavorisées

 2. zoonose : maladie humaine exclusivement transmise par les animaux qui, généralement, n’en souffrent pas eux-mêmes

 

 

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7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 12:45

 

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                     Aramis était le chat de madame C. C’était un grand chat blanc dont le pelage immaculé semblait une insulte au désordre ambiant, un flocon de neige sur la grisaille du temps. Quand j’arrivais, il était toujours voluptueusement  allongé sur le canapé du salon mais à mesure que le temps s’écoulait il paraissait se dégourdir de sa léthargie. Il baillait, redressait la tête, s’étirait distraitement, s’intéressait finalement. Enfin, d’un bond plein de grâce, il franchissait le dernier rempart de son désintérêt pour venir s’asseoir sur la table où je rédigeais mes ordonnances. Alors, ses yeux vert émeraude, plissés par une malicieuse complicité, donnaient l’impression de surveiller l’avancée de ma prescription. Parfois, quand il était d’humeur joyeuse, il tapotait du bout du coussinet la membrane de mon stéthoscope comme pour s’assurer de sa fragilité, comme pour se prouver qu’il pouvait si facilement la détruire. Il s’enhardissait même, les jours fastes, jusqu’à renifler attentivement ma sacoche, l’œil allumé devant tant de trésors improbables.

      Jamais il n’oubliait de se frotter à moi pour me prouver son intérêt, pour me faire comprendre qu’il m’accordait sa bénédiction et que, d’une certaine manière, il acceptait, par une faveur exceptionnelle mais chaque fois renouvelée, de me pardonner d’avoir envahi son univers de chat dans lequel il ne m’avait pas invité. Il se frottait à vous, Aramis, mais il ne fallait pas le caresser : l’imprudent qui s’y serait risqué aurait reçu pour prix de son geste insolent un rapide coup de griffe.

      Lorsque je quittais l’appartement, je n’oubliais jamais de lui jeter un dernier regard dans un futile adieu d’amitié mais il ne me voyait déjà plus. Ses largesses à mon égard avaient été dispensées, sa patience épuisée. Il regardait ailleurs et j’avais chaque fois la certitude qu’il avait repris sa faction, sentinelle inaltérable d’un avenir que je ne connaîtrai pas.

      Tout à l’heure je suis retourné chez madame C. et, presque immédiatement, j’ai demandé : « Mais où est Aramis ? Je ne vois pas Aramis ! ».

      Aramis était mort. Mort d’un accident. Ce soir-là, sa maîtresse avait oublié de clore l’entrebâillement de la fenêtre de la cuisine pour la nuit, et lui, qui était si friand de cette liberté qu’on lui refusait, avait sauté sur le rebord. La pluie qui était tombée en abondance les jours précédents avait humidifié les pierres et, pour une raison qu’on ne connaîtrait jamais, Aramis, d’ordinaire si adroit, avait glissé et était tombé six étages plus bas, dans un vol plané tourbillonnant qui avait pour une dernière fois illuminé la nuit naissante de sa clarté soyeuse.

      Il y avait un autre chat à sa place, destiné à remplacer Aramis. Un zébré, jeune et sympathique, quelconque. Il s’appelle Mitsou.

 

 

 

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7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 12:32

 

 

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Cette année-là, ma femme et moi, nous avions décidé de consacrer nos vacances à l’île de Djerba. Nous nous proposions de nous y détendre dans le cadre vaguement exotique du Club Méditerranée dont nous comptions effacer l’empreinte certainement trop occidentalisée par de multiples visites automobiles à des lieux plus typiques de la vie locale et aux ruines romaines, particulièrement belles en Tunisie. Aux ruines romaines surtout.

Nous nous retrouvâmes en conséquence, un matin de très bonne heure à l’aéroport d’Orly, en compagnie d’une ribambelle de citadins désirant se dépayser au plus juste prix. Il y avait là l’échantillonnage parfait des vacanciers organisés, depuis la grand-mère en jean acheté pour l’occasion, les enfants exubérants de l’énervement du départ, le couple essayant une dernière tentative de rapprochement inconscient, jusqu’au célibataire esseulé jaugeant par avance ses possibles conquêtes à venir.

Nous nous trouvions dans le sas d’embarquement, long couloir vitré surplombant les pistes, sagement alignés en une colonne parcourue du brouhaha assourdi de ce type d’événements, lorsqu’un homme très grand, tenant par la main une fillette, se fraya un chemin dans la petite foule, à grands renforts de mouvements de bras et d’épaule. Il désirait manifestement se rapprocher de la tête de notre groupe au grand dam des premiers arrivés mais ce qui déclencha les protestations grandissantes des participants, ce fut la désinvolture évidente de l’individu qui semblait se moquer comme d’une guigne de l’ordre social ainsi reconstitué. Plus encore, je l’entendis déclarer à son enfant : « Allez, cocotte, avance ! On n’en a rien à foutre de ces cons-là ! ». La proximité des vacances de tous ne prolongea pas l’incident plus avant mais, je dois avouer que, rarement, j’eus à éprouver une telle antipathie d’instinct pour quelqu’un que je ne connaissais pas.

Nous retrouvâmes le grossier individu quelques jours plus tard sur la plage. C’était en fait un homme tout à fait charmant qui nous expliqua, en médecin qu’il était en réalité, le trouble dont il souffrait. Il était atteint du syndrome assez rare de Gilles de la Tourette. De la Tourette a été le premier à décrire de manière rigoureuse la maladie à laquelle on a donné son nom. Il s’agit d’une affection apparentée à certains troubles neurologiques du type de la chorée de Hungtington, touchant plus particulièrement les hommes, et qui se caractérise par un comportement étrange : écholalie 1, gestes brutaux et incontrôlés, violences verbales et, parfois, éructations, injures, mots orduriers prononcés à voix haute, tous éléments que le malade ne peut que très difficilement contrôler. Notre interlocuteur nous expliqua le cortège de problèmes et rejets que ne manquait pas de lui attirer son attitude involontaire. D’ailleurs, en nous parlant, son visage était agité de tics divers et de parasitismes faciaux tandis que son discours s’interrompait par moment pour laisser filtrer, de manière bien intelligible, quelque mot ordurier ou quelque injure parfaitement gratuite. Alors, tout en proférant ses incongruités involontaires, ses yeux bruns se voilaient d’une empreinte attristée comme pour nous dire : « Ne faites pas attention : j’essaie bien de me dominer mais je n’y arrive pas toujours ». En parfait homme du sud-ouest, il pratiquait le rugby, était marié et père de la délicieuse petite fille qui l’accompagnait et menait une carrière médicale honorable. Il paraissait être d’une grande culture comme si celle-ci devait être la preuve que l’image qu’il donnait à la Société ne reflétait certainement pas ce qu’il était en réalité.

J’éprouvai une grande pitié pour cet homme intelligent, ainsi victime depuis l’enfance d’un sort contraire qu’il ne méritait pas. Ce qui semblait particulièrement injuste, c’était précisément l’innocuité de son trouble qui lui permettait une insertion sociale presque normale mais sans cesse remise en question par son comportement.

Je me suis juré depuis, et autant que faire se peut, de ne pas juger les gens sur leur apparence immédiate et d’attendre de les mieux connaître pour me faire sur eux une opinion définitive. Je dois à la vérité de dire que j’ai été plus souvent déçu que rassuré mais j’essaie néanmoins encore : qui sait ? Les êtres sont certainement toujours plus compliqués que l’apparence qu’ils donnent d’eux.

 

 

 

1 écholalie : une écholalie est une tendance spontanée à répéter systématiquement tout ou partie des phrases, habituellement de l'interlocuteur, en guise de réponse verbale. (in Wikipedia France)


 

 

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