Aramis était le chat de madame C. C’était un grand chat blanc dont le pelage immaculé semblait une insulte au désordre ambiant, un flocon de neige sur la grisaille du temps. Quand j’arrivais, il était toujours voluptueusement allongé sur le canapé du salon mais à mesure que le temps s’écoulait il paraissait se dégourdir de sa léthargie. Il baillait, redressait la tête, s’étirait distraitement, s’intéressait finalement. Enfin, d’un bond plein de grâce, il franchissait le dernier rempart de son désintérêt pour venir s’asseoir sur la table où je rédigeais mes ordonnances. Alors, ses yeux vert émeraude, plissés par une malicieuse complicité, donnaient l’impression de surveiller l’avancée de ma prescription. Parfois, quand il était d’humeur joyeuse, il tapotait du bout du coussinet la membrane de mon stéthoscope comme pour s’assurer de sa fragilité, comme pour se prouver qu’il pouvait si facilement la détruire. Il s’enhardissait même, les jours fastes, jusqu’à renifler attentivement ma sacoche, l’œil allumé devant tant de trésors improbables.
Jamais il n’oubliait de se frotter à moi pour me prouver son intérêt, pour me faire comprendre qu’il m’accordait sa bénédiction et que, d’une certaine manière, il acceptait, par une faveur exceptionnelle mais chaque fois renouvelée, de me pardonner d’avoir envahi son univers de chat dans lequel il ne m’avait pas invité. Il se frottait à vous, Aramis, mais il ne fallait pas le caresser : l’imprudent qui s’y serait risqué aurait reçu pour prix de son geste insolent un rapide coup de griffe.
Lorsque je quittais l’appartement, je n’oubliais jamais de lui jeter un dernier regard dans un futile adieu d’amitié mais il ne me voyait déjà plus. Ses largesses à mon égard avaient été dispensées, sa patience épuisée. Il regardait ailleurs et j’avais chaque fois la certitude qu’il avait repris sa faction, sentinelle inaltérable d’un avenir que je ne connaîtrai pas.
Tout à l’heure je suis retourné chez madame C. et, presque immédiatement, j’ai demandé : « Mais où est Aramis ? Je ne vois pas Aramis ! ».
Aramis était mort. Mort d’un accident. Ce soir-là, sa maîtresse avait oublié de clore l’entrebâillement de la fenêtre de la cuisine pour la nuit, et lui, qui était si friand de cette liberté qu’on lui refusait, avait sauté sur le rebord. La pluie qui était tombée en abondance les jours précédents avait humidifié les pierres et, pour une raison qu’on ne connaîtrait jamais, Aramis, d’ordinaire si adroit, avait glissé et était tombé six étages plus bas, dans un vol plané tourbillonnant qui avait pour une dernière fois illuminé la nuit naissante de sa clarté soyeuse.
Il y avait un autre chat à sa place, destiné à remplacer Aramis. Un zébré, jeune et sympathique, quelconque. Il s’appelle Mitsou.
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